La perle de Jacques Bertrand, chansonnier carolo.

Djåkes Bietrand, tchanteus e walon.

 Dressêye:

Textes de chansons et informations en wallon.

Eléments biographiques en français

Influence posthume.

 


Lolote

 

I.

Sul bôrd dè Sambe, et pierdu dins l' fumêre,

Wèyèz Couyèt avè s' clotchî crawieus ?

C' est la k' dèmeure èm matante Dorotéye,

Veuve d' èm mononke Andriyin du Crosteu

A s' neuve mêzo, nos avans fêt ribote,

Lundi passè, tout è pindant l' crama.

Poul prumi côp, c' est la k' dj' é vû Lolote.

Rén k' d' î pinser, sintèz come èm keur bat.

Poul prumi côp, c' est la k' dj' é vû Lolote.

Rén k' d' î pinser, sintèz come èm keur bat.

Au bord de la Sambre et perdu dans la fumée / Voyez-vous Couillet et son clocher tordu / C'est là qu'habite ma tante Dorothée / Fille de mon oncle, Adrien le fils du porteur de béquille / A sa nouvelle maison, nous avons fait la fête / Lundi passé, en pendant la crémaillère / Pour la première fois, c'est là que j'ai vu Lolotte / Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

 

II.

Gn avèt drola les pus guéy du vilâdje.

En fét d' couméres, on n' avèt k' a tchwèzi.

On a rcinè, a l' ombe, padzou l' fouyâdje,

Dèvant l' mêzo, dèlé l' gros cèriji.

Em boune matante a del biêre è bouteye,

Ç' n' est nin l' fârô k' est jamés si bon k' ça.

Dins s' chike, Lolote estèt si bén vermèye,

Rén d' î pinser, sintèz come èm keur bat. (2 côps)

Il y avait là les plus joyeux lurons du village / En matière de filles, on n'avait qu'à choisir / On a goûté à l'ombre, sous les frondaisons / Devant la maison, près du gros cerisier / Ma chère tante a de la bière en bouteilles / Bien supérieure même au Faro. / Dans son ébriété, Lolotte était toute rougeoyante / Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

 

III.

I dalèt mieus, les panses estant rimpliyes

Djan l' Blanchisseu tinguèle es viyolon

Et dit: " Mz èfants, nos avons ci des fiyes

Ki n' dimandnut k' a danser l' rigodon.."

A ! ké pléji ! Kè Lolote ét continne !

Après l' cadriye, on boute ene mazurka

Djè triyanè è pressant s' mwin dins l' minne.

Rén k' d' î pinser, sintèz come èm keur bat. (2 côps).

Ca alla mieux quand les ventres furent repus / Jean le Blanchisseur tend son violon / Et dit: "Mes enfants, nous avons ici des filles qui ne demandent qu'à danser la samba." / Ah quel plaisir ! Que Lolotte était contente ! / Après la square-danse, on lance une mazurka / Je tremblais en étreignant sa main / Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

 

IV.

Vla l' swêr vènu, pou danser chakin s' presse.

El violoneu raclèt avû ardeur

L' biêre et l' amour èm fèyint toûrner l' tiesse.

Vingt noms di chnik ! djè nadjè dins l' bouneur.

Mins l' pa Lolote, è wèyant k' èle m' imbrasse,

D' in côp d' chabot m' fét plondji dins l' puria.

L' coumére s' inkeurt, eyet mi, dj' èm ramasse.

Ciel ! ké côp d' pî ! Sintèz come èm keur bat. (2 côps)

Voilà le soir venu, et chacun s'exhorte à danser / Le joueur de violon raclait son instrument avec ardeur / La bière et l'amour me faisaient tourner la tête / Saperlipopette ! Je nageais dans le bonheur / Mais le père de Lolotte, en voyant que je l'embrasse / D'un coup de sabot me fit plonger dans le purin / La fille s'éclipsa et moi, je me relevai tant bien que mal / Mon Dieu, quel coup de pied ! ; sentez comme mon cœur bat.

 

V.

Dj' èm souvénrè du crama d' èm matante.

Dj' crwè k' dj' é l' cripet cåssè ou bin dèsmi.

Djè prind des bins al vapeur d' êwe boulante,

Grignant les dints tous les côps kè dj' m' achîd.

Mès cand dj' dèvrè skèter 'm dérinne culote,

E m' impwègnant avè s' mame eyet s' pa,

Putot mori ki d' viki sin Lolote.

Rén k' d' î pinser, sintèz come èm keur bat. (2 côps).

Je me souviendrais longtemps encore de la pendaison de crémaillère de ma tante / Je pense que j'ai le coccyx cassé ou luxé / Je prends des bains de vapeur / Grinçant des dents chaque fois que je m'assied / Mais quand bien même je devrais y laisser ma dernière culotte / Pour en découdre avec son père et sa mère / Plutôt mourir que de vivre sans Lolotte / Rien que d'y penser, sentez comme mon cœur bat.

 


Jacques Bertrand, divins: Nameur, Sambe et Moûze, Li Chwès n° spécial, 1996.

L'édition pré-originale fut publiée dans le Journal de Charleroi du 12 octobre 1865. La chanson devint si poplaire que chaque interprétateur l'adaptait à son accent wallon. Le texte ci-dessus est en partie normalisé. En Carolorégie, par exemple, côp se prononce plus fréquemment coûp

Cassette (300 BEF) ou CD (700 BEF avec textes) Nameur, Sambe et Moûze; Contact: Pierre Dufaux

Harmonisation des graphies des textes régiolectaux présentés sur ce site: véci


Sacwantès tchitcheyes sol vicåreye då Djåke Biètran

Jacques Bertrand (1817-1884)

Fabricant de chaises, né et mort à Charleroi. Sa famille était des plus humbles et, à dix ans, il quittait l'école pour entrer en apprentissage. D'un naturel curieux, plein de goût pour la lecture, il améliora par la suite l'instruction rudimentaire de ses jeunes années. Ses œuvres, qui portent la marque de son niveau intellectuel, reflètent de même le libéralisme de l'époque où il vivait; et rien qu'à la façon dont il parle de philanthropie, de progrès social et de bonne chère, on reconnaît en lui le disciple mineur d'un Béranger rallié à la morale - et à la dynastie.

C'est vers 1851 que Bertrand eut l'idée d'animer de ses chansons les fêtes organisées par une société locale (le bienfaisance (Les brayards) dont il faisait partie avec son cousin Albert Thibaut (1815-1880), un autre auteur wallon. Son œuvre de début, Les petites mizêres de Mine Chouflot, monologue comique en wallon mêlé de couplets français, fut suivie d'autres productions tant françaises que wallonnes : parmi ces dernières, La jolie fille du Faubourg ou la quinzaine au Mambourg, L' dicace du Bo, Sintèz come èm coeur bat, Raculotons-nous allaient consacrer largement, au Pays noir, la notoriété de leur auteur. Même après sa mort, son Recueil de chansons populaires qui avait paru en 1867, connut de nombreuses réimpressions.

Talent spontané, Bertrand trouve souvent, pour peindre les sensations simples et frustes du peuple, le tour alerte, l'expression pleine de franchise et de gaieté. Mais presque aussi souvent, il déroute par l'inégalité de la langue et du style et par un manque de mesure qui l'expose à la platitude sentimentale et surtout scatologique.

Un demi-siècle après Boiron, l'obscur barde villageois dont le nom apparaît " au bord de la nuit finissante de la chanson anonyme " (A. Carlier), Jacques Bertrand fut, au pays de Charleroi, le premier chansonnier wallon en date et en mérite, et, avec Albert Thibaut, Horace Piérard et Léon Bernus, le fondateur de la littérature dialectale carolorégienne.


Maurice Piron: divins: Anthologie de la littérature wallonne, Pierre Mardaga, Lîdje, 1979.


Nosse Djåke Biertran eyet les prumirès tchansons e walon.

Jacques Bertrand et les premières œuvres musicales wallonnes à auteur connu.

Les premières oeuvres musicales de qualité avec usage d'un langage wallon furent les 4 opéras comiques de Hamal connus sous l'appellation de Théâtre Liégeois. De tous temps, la chanson wallonne a toujours été écrite sur les musiques à la mode et ce jusqu'à la fin des années folles. Nicolas Bosret à Namur, Jacques Bertrand à Charleroi, auteur immortel de "Sintèz come èm keur bat" ou "Lolote" sur un air autrichien datant du Congrès de Vienne - dont Schubert s'est largement inspiré dans son "Lindebaum" (le tilleul), extrait du "Voyage d'Hiver" - et qui sert également de musique au "Pantalon trawé" de Liège & "Lès Chambourlètes" de Mons. A l'époque, bien avant l'invention du phonographe et des plaques qui vont avec, Jacques Bertrand, pour populariser ses chansons dans la région de Charleroi, envoyait sur tous les marchés et dans les nombreuses guinguettes, des vendeurs-chanteurs de petits formats (textes et partitions des oeuvres).


André Gauditiaubois, divins: Musique post-moderne en wallon : le cas William Dunker, dins: Qué walon po dmwin, Quorum, Djerpene, 1999.


Encore quelques éléments sur Jacques Bertrand.

Co sacwantès tchitcheyes sol Djåke Bietrand

 

I gn a dissu l' site di nosse Fédéracion les paroles et on ptit boket del tchanson (k' on pout chouter, oyi!), insi ki des référinces di CD audio avou - si ki dji pinse - onk des pu bias tchants di Djåke Bertrand. I vos faut sawè etou ki Djåke Bertrand est del réjion di Charlerwè, k' il a scrît e walon sacants ôtes bias boukets (El kézene au Mambour, Ducasse du Bos, El cras boya, ...) k' ont stî tchantés pa branmint d' djins, mins branmint rtinront Bob Dechamps come onk des cias k' a stî li meyeu des tchanteus di Djåke Bertrand. Il a etou scrît, e francès, "Pays de Charleroi". Po rivnu a lî, il a viké al fin des anéyes 1800, et i gn a on boulvard ki pwate si nom a Charlerwè. Li bibliotéke del vile di Charlerwè duvreuve awè one sacwè dissu Djåke Bertrand.

[Vous trouverez sur le site de notre Fédération les paroles et un extrait (qu'on peut écouter) de la chanson, ainsi que des références de CD audio reprenant ce qui, selon moi, est un des plus beaux airs de Jacques Bertrand. Ce compositeur, de la région de Charleroi, a aussi écrit, en wallon, d'autres chants (El quézène au Mambour, Ducasse du Bos, El cras boya, ...) qui ont été interprétés par nombre de chanteurs, dont Bob Dechamp est sans doute le plus connu. Il a également écrit, en français, "Pays de Charleroi". Il a vécu à la fin du 19e siècle, et un des grands boulevards de Charleroi porte son nom. La bibliothèque de Charleroi devrait disposer d'ouvrages relatifs à Jacques Bertrand.]


Luc Baufay, sol djåspinreye "Viker", li 21 di may 1999.


Le portrait de l'artiste.

Le portrait le plus fidèle de Jacques Bertrand qui soit parvenu à nous est incontestablement celui qu'avait fait Prosper Sevierre (le photographe).

L'homme a atteint l'âge de la maturité a revêtu un costume de toile bleue, le costume des travailleurs et il a coiffé la casquette prolétarienne, crânement posée en arrière. Au cou, il a le foulard traditionnel, négligemment noué en dessous du veston. Assis à la table familiale ; la tête légèrement posée sur le robuste poing gauche, les yeux rêveurs perdus dans le lointain, l'homme crayonne quelques bouts rimés sur une feuille de papier, en quête d'inspiration.

Ce portrait peut impressionner par le ton de sérieux qui s'en dégage. En réalité, il y manque cette pointe de gaieté gaillarde dont Jacques Bertrand savait pimenter ses œuvres à l'occasion. Ce n'est plus le boute-en-train facétieux et jovial qui, en compagnie de ses amis, les " Braillards", s'en allait chanter de cabaret en cabaret. C'est l'homme de cinquante ans, animé d'une certaine philosophie.

A ce moment, il pouvait, non sans une certaine fierté en regardant le chemin parcouru en un demi-siècle, se dire qu'il ne s'était pas trop mai débrouillé dans la vie et qu'il avait su profiter des occasions qui lui avaient été apportées pour prendre du bon temps et le partager avec ses amis. Il pouvait aussi avoir une pensée émue pour ses parents, braves et obscurs travailleurs, attachés tout au long d'une existence difficile, à maintenir intacte l'honorabilité de la famille.


Willy Seron, divins: Carolo Service, 19-09-1984.


Bertrand chantre wallon du pays de Charleroi.

Des origines modestes...une vie exemplaire

Blaise-Léopold-Joseph Bertrand, le père, originaire de Baileux, près de Chimay, avait quitté très.tôt son pays natal pour venir à Charleroi où il s'occupait de travaux de terrassements. Il devait y faire la connaissance de Marie Douriet qui provenait d'une respectable famille, venue s'établir à Lodelinsart, un siècle plus tôt. De ce mariage devaient naître six filles et quatre garçons.

Jacques-Léopold-Joseph Bertrand, né le 18 novembre 1817, dans le quartier de la Ville Haute, était l'aîné des fils. Dans ce milieu peu aisé et malgré toute l'intelligence précoce qu'il montrât, le garçonnet n'avait aucun espoir de poursuivre des études.

A dix ans, avec le mince bagage intellectuel qu'il avait pu acquérir, Jacques Bertrand s'en allait chez un beau-frère, Dedecker, où il fut initié à la fabrication des chaises. Lorsqu'il n'eut plus rien à retenir des tours de main et des astuces du métier, Jacques Bertrand, le bâton de compagnon à la main, d'accomplir selon la coutume du temps, un tour de France qui dura 2 ans. A son retour, faute de moyens financiers, le jeune homme s'installa "à son compte", au domicile de ses parents, rue Gustave Nalinne.

Plaque commémorative apposée en 1924 sur la façade de la maison natale, rue Nalinne à Charleroi.

A cette époque sa vie prit un caractère studieux. Sa journée achevée il s'adonnait passionnément à la lecture et dévorait tout ce qui lui tombait sous la main. Il aimait a musique aussi ! Sans en avoir appris les principes, il avait une oreille très délicate et retenait très vite un rythme, une mélodie.

Grâce à ces dispositions et, surtout, à la volonté qui allait montrer petit à petit, il avait comblé ce que les vides avaient de trop gênant dans son instruction. Puis était venu l'âge où l'on regarde les filles avec un certain sérieux. L'envie de fonder une famille avait gagné insensiblement le célibataire de trente ans. Le 11 mai 1848, il épousait Pauline Emilie Quenne, la fille d'un modeste boulanger du centre ville. Le jeune couple alla s'installer dans une dépendance de la maison d'un cousin germain, Albert Thibault, rue de l'Aigle Noir. Il allait y rester vingt-cinq ans. C'est là que devaient naître ses deux fils, Jules, et Léopold.

Léopold, le cadet devait continuer le métier paternel jusqu'à sa mort, deux ans après la disparition de Jacques Bertrand. L'aîné, Jules, était entré l'administration communale de Charleroi où il termina sa carrière comme commis de première classe, le 1er juin 1914.

Dans son nouveau foyer comme chez ses parents, Jacques Bertrand, à la veillée, lisait à haute voix la gazette et en commentait les nouvelles à un auditoire familial attentif. Dans un milieu modeste et rivé à son travail artisanal, il n'en réussit pas moins à façonner sa rayonnante personnalité. S'il éprouvait le besoin incessant de s'instruire et de se cultiver, il aimait aussi se divertir au sein des sociétés de joyeux drilles, comme le groupe des "Braitlards", une société locale de bienfaisance qui organisait des fêtes publiques dont les bénéfices étaient destinés à des œuvres philanthropiques.

Jacques Bertrand (debout, au centre), dans son atelier en 1858.

Profitant des premiers travaux d'extension de la Ville au-delà de ses murs d'enceinte, en 1873, notre barde local faisait construire, à l'angle de la place du Manège et du boulevard de l'Ouest qui porte son nom depuis le 16 juillet 1898 un immeuble où, sur les conseils de ses amis, il ouvrit un café devenu rapidement le rendez-vous des bons vivants de la cité. Cette grosse maison avec un atelier contigu pour la fabrication des chaises, c'était le fruit d'un labeur persévérant et d'une existence familiale basée sur les principes d'ordre et d'économie.

Le 21janvier 1878, notre chantre avait la douleur de perdre son épouse ; 2 ans plus tard, son cousin germain. n Albert Thibault mourait à son tour. Bien qu'entouré de l'estime de tous ses concitoyens et de leur vénération, Jacques Bertrand ne se sentait plus alors animé d'écrire ; sa muse se tut dès lors pour toujours. Il s'en allait doucement vers ses 68 ans quand, le 30juit let 1884, son cœur cessa brusquement de battre. La nouvelle bouleversa la ville. Le samedi le, août, une foule énorme conduisait à sa dernière demeure un bon chansonnier populaire, homme de bien dans toute l'acceptation du mot.

Le chansonnier

C'est à l'âge de 30 ans, peu après son mariage que J. Bertrand commençait à écrire des bouts rimés et à composer en wallon dans le patois de Charleroi. Dans son atelier Jacques Bertrand laissait le tranchet sur l'établi et l'osier en dehors du cannage pour copier d'un crayon furtif les vers qui lui trottaient dans la tête. Si l'esprit naturel brillait, les règles de la prosodie, par contre, en prenaient un sérieux coup. Cependant, presque d'instinct, J. Bertrand associait musiques et paroles avec une aisance de style et une verve d'inspiration' qui étonnaient les plus avertis. Mais tout cela n'avait pas encore dépassé les limites de râtelier de la rue de l'Aigle Noir jusqu'au jour où Prosper Bevierre, Albert Thibault et d'autres organisèrent une représentation wallonne au théâtre de la Place Verte - l'actuelle place de la Ville Basse - et où J. Bertrand joua un rôle fort applaudi. C'étaient les vrais débuts de notre chansonnier; en 1852.

Ce jour-là, un de ses frères, Jules, avait chanté pour la première fois en public " Les Petites - Misères de Madame Chuflot". Ce texte délicieux où se mêlent le français et le wallon tandis que sont évoquées des figures connues de Charleroi de ce temps-là et que sont mises en évidence les performances des " Braillards", nous conte les déboires de Madame Chuflot, venue admirer pour la première fois le chemin de fer avec sa fille. Notre chantre carolorégien était lancé. Bien des pages savoureuses procédaient du même style alerte et du même esprit frondeur; retenons "Les mésaventures de Tchanchet Pancrace eyet di Magrite, ès feme, al fwere de Tchålerwè", "L'Enseignement Obligatoire au Point de vue de Madame Boniface", "Les Tribulations de Madame Flageolet" ou encore "Refleccion d' on Hoyeu do Trî-Kaujin ".

L'oeuvre dans le contexte de l'époque

Pour mieux comprendre et apprécier les chansons de J. Bertrand, il faut se replacer en imagination dans le contexte de cette époque qui va de 1850 à 1880.

Vingt ans après l'indépendance nationale, Charleroi était une cité de 8.534 habitants enserrée dans ses remparts, mais dont l'explosion démographique liée au développement prodigieux du machinisme, allait transformer complètement la structure urbaine. La ville avec ses 17.442 habitants en 1880 avait doublé en trente ans J. Bertrand devait être témoin de cette transformation progressive. Pour J. Bertrand, qui était de la Ville Haute et qui allait y passer toute sa vie, ce qui comptait évidemment, c'était la partie de la forteresse qui dominait la Sambre : sa place polygonale et ses rues disposées en rayon de roue qui menaient dans toutes les directions aux remparts.

En raison de son périmètre étroit, la Ville Haute n'était pas très peuplée. Dès lors, les habitants formaient une grande famille où tout le monde se connaissait par le prénom ou, ce qui était l'usage du temps, le sobriquet. C'est toute cette vie locale qui devait transparaître dans d'innombrables chansons dont certaines nous sont restées combien familière, tandis que d'autres - nombreuses - sont demeurées dans l'oubli.

C'était une époque à la fois paisible et dure, où l'on travaillait dès son plus jeune âge douze heures par jour dans les charbonnages et dans les usines, mais époque où les intellectuels bourgeois ne se sentaient pas complexés de tailler une bavette en wallon avec les gens de conditions plus modestes... Cette époque où l'on prenait malgré tout le temps de vivre, à dû contribuer chez J. Bertrand à l'épanouissement d'une série de chansons tendres et douces, enjouées aussi comme "El cwénzinne å Mambor", "El dicåce do Bos", "Sintoz come èm cour batr" et " Racoulotans nos ".

Il y a dans le recueil de J. Bertrand certaines productions qui prouvent chez lui des préoccupations sociales et politiques qui n'ont rien de local. Il a entendu chanter les œuvres de Beranger et les vagues conceptions humanitaires dont on parlait de son temps ne l'ont pas laissé indifférent. Ainsi il a dénoncé la guerre, célébré la liberté, le travail et la paix. Mais ce ne sont pas ces morceaux qui ont fait sa réputation.


Willy Seron, divins: Carolo Service, 19-09-1984.


Lançons nos, vla m' prumî scrijâdje in pinsant à Djåke Bertrand èt ås cate sèzons d' ène vikériye

Zabèle

Dji m' vou souvni, Zabèle, du timp di nos vint ans,

Nos avine nos deus mwins, wêre dè liårds, l' viye padvant,

Mins nos nos vyine voltî, èt mi, dji vos dizeu:

"  Tchåfez vos dins mes bras, ça nos spårgnra du feu. "

Je veux me souvenir, Isabelle, du temps de nos vingt ans / Nous avions nos deux mains, guère d'argent, la vie devant nous. / Mais nous nous aimions, et moi, je te disais / Réchauffe-toi dans mes bras, ça économisera du combustible.

 

Å bon timp d' no-n amour ont disclô deus poupènes,

Sclamures di no bouneur, dèzir di yesse èchène,

Vo tchaleu pou nos twès desfacet les sêzos,

Eyet l' soya d' vo keur ertchåfet no mêzo.

Au printemps de nos amours sont nées deux poupées. / Cri de bonheur, le nôtre, désir d'être ensemble / Ta chaleur, pour nous trois, effaçait les saisons / et le soleil de ton cœur réchauffait notre maison.

 

A vo dmi vikêriye, vos astîz djonne grand-mére,

Erglatichante, djoliye, l' biaté d' vos carante ans,

Pou mi, c' astet l' esté ; dji trouvè dins ene coumére,

Ene feume ey ene mêtresse, el brèje ki manke a tant.

A à peine la moitié de ta vie, tu étais jeune grand-mère / Rayonnante, jolie, la beauté de tes quarante ans ! / Pour moi, c'était l'été; je trouvais dans une femme / Une épouse, une maîtresse, la braise qui manque à tant.

 

Co vint anéyes dè brayes èt anfin rén k' nos deus,

L' ahan tindi vos tchvias, alumwêres dè tchaleu,

L' amour n' asteut pus radje, mins feuwêye in tijons,

Amitiè, complistè, prolondjmint del passion.

Vingt autres années de lessive pour les gosses, et enfin, plus rien que nous deux / L'automne teignit tes cheveux, comme des éclairs de chaleur / L'amour n'était plus rage, mais brasier qui achève de se consumer / Amitié, complicité, prolongement de la passion.

 

El timp couri trop râde, dîj ans pou s' erpôzer,

Et in lêd djoû, d' in côp, l' fåtcheuse a tout skètè,

El timp dins l' sabliè n' a pus passè pour mi,

Dj' é vikî pou ls èfants, mins m' mémwère a lachî.

Le temps courut trop vite; dix ans pour se reposer / Et en un jour funeste, la faucheuse a tout détruit. / Pour moi, le temps s'est arrêté / J'ai vécu pour les enfants, mais ma mémoire a lâché prise.

 

Avè les ptits dêrins, dji sû devnu tayon,

Did lawôt, vos dvèz rîre cand dji m' brouye dins leus noms,

Et si vos mè rwêtez, dins no grand lit, stårè.

Non, dji n' sû nén malåde, mins dji sû scran, vanè.

 

Il ont dvizè d' cancer dins des mots d' bernatîs,

I gn a k' ene seule afêre, c' est k' dj' é vikî trop vî,

Tout l' timp passè sins vos m' a chènè vûde èt long,

Dji va sèrer mes îs, dji vou rider, m' pouyon,

Dj' é tout m' côr k' est bagueu d' iviêr, di frèd, di djel.

Dji mè vos va rtrouver, vos m' ertchåfrez, Zabèle.

Avec les petits derniers, je suis devenu aïeul / De là-haut, tu dois bien rire, quand je me trompe dans leurs noms / Et si vous me regardez, étendu dans notre grand lit. / Non, je ne suis pas malade, mais je suis fatigué, éreinté. / Ils ont parlé de cancer dans des mots savants [lit. dans des mots d'éboueurs] / Il n'y a qu'une seule chose de vraie: c'est que j'ai vécu trop vieux; / Tout le temps passé sans toi m'a semblé vide et long. / Je vais fermer mes yeux, je vais faire la grande glissade, mon poussin / C'est comme si tout mon corps transportait de la neige, du froid, de la glace / Je vais te retrouver; tu me réchaufferas, Isabelle.


Djan d' Courcèle (Jean Nihoul), divins: Calindrî walon 1998.

 (version en wallon) Modêye e walon.

Djan d' Courcele a morou nén co shijh moes après k' il åye escrît ci powinme ci.

Notez l'utilisation du passé simple (normalement archaïque en Ouest-wallon): l' ahan tindi vo tchvias; el timp couri trop rade.


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