Etudes sur la maladie à Theileria annulata dans les Doukkala (Maroc).

last update: 2014-08-08

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 La theilériose à Theileria annulata est-elle une contrainte dissuasive à l'élevage bovin intensif dans les Doukkala (Maroc) ?

 Etude préliminaire sur deux combinaisons thérapeutiques alternatives dans le traitement de la theilériose bovine en cas de pénurie de buparvaquone.

 Profil épidémiologique, clinique et thérapeutique de 598 bovins diagnostiqués "theilériose" au pic de la saison 2003.


 Petit forum sur la theilériose dans les Doukkala.


La theilériose à Theileria annulata est-elle une contrainte dissuasive à l'élevage bovin intensif dans les Doukkala (Maroc) ?

 english summary.

Introduction.

La theilériose à Theileria annulata (Th. annulata), encore dite méditerranéenne, ou tropicale, est une maladie des bovins qui sévit dans les zones méditerranéennes et subtropicales de l'Hémisphère Nord, surtout en Afrique et en Asie, du Maroc à la Chine. La maladie est transmise par les tiques du genre Hyalomma.

La région des Doukkala est située à la frontière des zones subhumides et semi-aride au centre du Maroc, entre Casablanca et Marrakech. Elle a bénéficié d'installations d'irrigation, gravitaire et par aspersion, depuis les années 1960. Parallèlement, les éleveurs ont amélioré le niveau génétique du cheptel par importation de génisses pleines des races frisonnes et montbéliarde, ou par insémination artificielle à partir de sperme de taureaux des mêmes races.

La pathogénicité de Th. annulata, considérée moyenne dans la littérature classique, s'est révélée très intense sur les animaux de races améliorées, surtout l'année qui suit leur introduction dans la région, soit en provenance de l'étranger, soit d'une autre région du Maroc. Dans les années 1980, on a signalé des taux de mortalité allant jusqu'à 50 à 80 p. 100 chez les génisses pleines importées. A cette époque l'arsenal thérapeutique disponible localement était limité à des produits dits schizostatiques, en l'occurrence les tétracyclines, qui ne font que retarder la division des schizontes (un des stades d'évolution du protozoaire en cause).

Une telle situation a posé la question de la pertinence de l'introduction de races européennes performantes dans un tel environnement.

Ancien de le Coopération belge (1977-1987), j'ai choisi, à la fin de mon contrat avec l'Etat belge, de créer un cabinet vétérinaire dans cette région en 1989, pour continuer, à titre indépendant, mon action au service du développement rural en Afrique. Ce cabinet continue à accueillir en post-formation des diplômés vétérinaires et techniciens d'élevage.

Le présent article rend compte de mon expérience de 13 ans dans le diagnostic et le contrôle des cas de theilériose à Th annulata, rencontrés dans ma pratique journalière, et de mes réflexions sur les conséquences de cette maladie sur l'organisation de l'élevage et de la médecine vétérinaire dans les Doukkala.

Symptômes de la theilériose aiguë en phase d'état.

La maladie aiguë se caractérise par une fièvre pouvant être très élevée. Il n'est pas rare de trouver des pics de 41 à 42°C, qui sont alors considérés comme pathognomoniques. Les ganglions superficiels sont hypertrophiés. On palpe en routine les préscapulaires et les précruraux mais d'autres ganglions (rétromammaire, inguinaux) peuvent être également nettement hypertrophiés.

Les muqueuses oculaire et vaginale sont congestionnées. Cette dernière présente souvent des petites élévations rouges dites follicules vaginaux. Une toux retenue, connue sous le vernaculaire naham, fait partie très souvent du tableau clinique typique.

La maladie non traitée évolue en cinq à huit jours vers un état grave, caractérisé par une baisse de la température jusqu'à l'hypothermie (35 à 38°C), une pâleur des muqueuses, un ictère, un dédoublement des bruits cardiaques avec pouls veineux rétrograde, un décubitus. La mort survient un à deux jours plus tard.

Attitude des éleveurs devant la maladie sous sa forme typique.

Les éleveurs reconnaissent facilement la maladie sous sa forme aiguë. Elle est connue sous le nom de bou sfir (jaunisse). Néanmoins, le lien avec l'agent transmetteur, la tique Hyalomma detricum, ne fait par partie des connaissances traditionnelles. A contraire, les éleveurs attribuent la maladie à toutes sortes de facteurs, dont: l'effet direct du soleil, l'utilisation de paille comme litière en été, l'alimentation par les pulpes ou les feuilles et collets de betteraves, ou par la luzerne. Cependant, suite à l'extension des connaissances en milieu rural, le nombre d'éleveurs conscients du rôle transmetteur de la tique est en augmentation constante.

Chez les animaux de race locale, la maladie était relativement bénigne. La médecine traditionnelle pratiquait la saignée à l'oreille, l'administration d'oignons et de plantes médicinales, la plus courante connue sous le nom de mkhinza. La saignée à l'oreille fait suite à un symptôme observé par les éleveurs, consistant en l'agitation anormale des oreilles (kat-nech bi oudniha), associée à une coloration jaunâtre de la peau de l'intérieur du pavillon.

La race locale pure, un animal taurin de type Shorthorn d'un poids adulte de 250 kg, connu sous le nom de Brune de l'Atlas, a presque complètement disparu de la région. Le cheptel actuel est composé pour un tiers de bovins de races pures et de leur descendance et pour deux tiers de croisés à différents stades du phénomène d'absorption.

Si la médicalisation en début de maladie des animaux atteints de la theilériose peut être estimée actuellement à 95 p. 100, il n'en était pas de même au début de notre pratique. L'absence de recours précoce au vétérinaire était motivé par: (1) la rareté des praticiens privés; (2) l'échec thérapeutique, suite à l'inexistence de médicaments spécifiques et à l'utilisation erronée par les thérapeutes de produits anti-Babesia, une autre hémoprotozoose présente dans d'autres régions du Maroc et connue sous le même vernaculaire de bou sfir; (3) l'efficacité apparente des thérapeutiques traditionnelles chez les bovins locaux ou les croisés peu absorbés; (4) l'apparition d'un des symptômes pathognomonique, l'hypertrophie ganglionnaire, chez des animaux qui ne feront pas de forme clinique, ce qui est interprété comme une efficacité des méthodes de guérison traditionnelles appliquées également à ces cas; (5) le coût du traitement par rapport à la valeur de l'animal; ce coût élevé provenait de la cherté de la thérapeutique, des honoraires élevés des praticiens en situation de monopole géographique et les coût d'approche, grevés par la mauvaise qualité du réseau routier.

Epidémiologie.

Dans les Doukkala, la theilériose bovine a toutes les caractéristiques épidémiologiques des maladies enzootiques (limitées dans l'espace, non dans le temps). Une majorité des bovins présents dans la région sont porteurs du parasite, et la tique vectrice est ubiquiste. Le parasite est transmis par voie verticale chez la tique, ce qui assure des réinoculations des Theileria l'année suivante, par les nymphes octopodes, puis par les adultes. Ces réinoculations entretiennent l'immunité des animaux présents dans la région.

Une enquête immunologique effectuée par l'équipe du département de parasitologie de l'Institut Agronomique et Vétérinaire de Rabat (I.A.V.) a révélé un taux d'anticorps de 60 p. 100 de la population. Ce taux m'a toujours apparu faible par rapport à nos observations du terrain.

Les veaux nés dans la région possèdent une certaine prémunition (non absolue) jusqu'à l'âge de 3 à 6 mois.

Les considérations précédentes expliquent l'incidence particulièrement élevée de la maladie dans les catégories d'animaux suivantes: (1) les bovins de tout âge introduits dans la région depuis moins de un an; (2) le jeune bétail né dans la région et âgé de 3 à 18 mois.

Chez ces deux catégories, on peut raisonnablement supposer que la maladie clinique correspond à une primo-infestation sur un terrain immunitaire vierge pour le premier cas, et après disparition de la protection maternelle dans le second.

Néanmoins, la maladie à également une incidence supérieure à la moyenne dans les cas suivants: (3) vaches laitières en 1ère ou 2ème lactation, dans les 3 premiers mois; (4) animaux ayant subi un stress comme le transport (animaux achetés dans la même région), les chaleurs avec saillie naturelle chez les vaches et la monte chez des taureaux utilisés exceptionnellement comme reproducteurs; (5) veaux de 1 à 3 mois nés de vaches primipares ou en second vêlage.

Dans les cas (3) et (4), on peut supposer que la Theileria est déjà hébergée par les bovins et que l'équilibre hôte-parasite est rompu à la faveur d'une condition stressante qui diminue les défenses de l'organisme et permet l'installation de la maladie parasitaire. Le cas (5) laisse supposer que la prémunition observée chez les jeunes veaux est bien due à un transfert classiques d'anticorps colostraux les catégories de mères concernées en étant relativement dépourvues.

La répartition saisonnière, objectivée par la consommation de buparvaquone (fig. 1) est parallèle à l'activité des tiques adultes.

Consommation de Butalex (flacon de 40 ml par jour, correspondant en moyenne à 4 bovins traités) en 2002 (rose), en comparaison de la moyenne des années 1999 à 2001 (bleu). Le graphique montre un retard saisonnier (été tardif) et un rabottage du pic (concurrence, diminution du cheptel chez les éleveurs, diminution de poids moyen des malades, automédication).

On note une accalmie hivernale, mais certains cas cliniques, surtout atypiques, existent même pendant les mois de novembre à février. L'augmentation des cas cliniques commence en mars avril. La maladie devient la pathologie dominante en mai pour culminer entre le 25 juin et le 8 août, plus ou moins précocement d'après la climatologie au cours du printemps. Elle se raréfie progressivement en septembre et octobre.

Theilériose bovine et développement de la médecine vétérinaire privée dans les Doukkala.

En 1980, le Maroc tout entier comptait à peine une vingtaine de vétérinaires privés dont la moitié en pratique urbaine. La pratique rurale était assurée principalement par des infirmiers vétérinaires et des vétérinaires étatiques.

A partir de 1976, les docteurs vétérinaires ont été diplômés de l'I.A.V. de Rabat. La Coopération belge a participé activement à la mise en place de la formation vétérinaire au Maroc, via trois projets: aviculture, reproduction et clinique ambulante bovine. J'ai été responsable de ce dernier projet de 1977 (deux années après son lancement) et jusqu'à la phase post-projet en 1986.

A partir de 1985, et sous l'impulsion des instances internationales, l'Etat Marocain a encouragé l'installation de vétérinaires privés, en se désengageant progressivement de la couverture des problèmes sanitaires individuels. Le nombre de vétérinaires privés est passé à 100 au début des années 1990, pour dépasser récemment le nombre de 300.

Dans la région des Doukkala, soit une zone d'un rayon de 40 km, le nombre de vétérinaires privés était de 7 en 1990, et approche actuellement la quarantaine.

La theilériose bovine est certainement un des facteurs qui contribue à attirer les jeunes diplômés vers la région.

La facturation de l'acte vétérinaire à l'éleveur comprend les honoraires, les frais de déplacement et le coût des médicaments déconditionnés à partir de flacons multidose. Elle n'est pas ventilée à l'éleveur, ce qui permet au vétérinaire de s'octroyer des plus-values substantielles. Ces marges sont en train de se réduire du fait de la concurrence qui devient très nette, mais restent néanmoins confortables. Ainsi, pour un bovin de race importée de 500 kg, d'une valeur de 15.000 MAD (1), un traitement de theilériose aiguë est facturé de 650 à 900 MAD, selon les praticiens.

La figure 2 montre l'évaluation mensuelle du chiffre d'affaire bovins de notre cabinet.

Chiffre d'affaire (MAD par semaine) de l'activité Grands animaux (90% bovine) de notre cabinet, de juillet 2000 à décembre 2002.

La courbe est parfaitement parallèle à celle de l'incidence saisonnière de la theilériose. Cette maladie représente à elle seule environ 60 à 80 p.100 du chiffre d'affaire de notre clientèle privée en grands animaux, toutes interventions et toutes espèces confondues. Ainsi, d'août 2001 à septembre 2002, soit 14 mois, le Butalex ® (voir ci-dessous) a réprésenté 69,5 % de la consommation totale de médicaments, et son achat 45,4 % des charges totales grands animaux de notre cabinet.

La theilériose bovine, maladie grave des bovins, dont le nombre des cas annuels est garanti du fait de sont aspect enzootique, qui exige une intervention vétérinaire dont la rentabilité est bonne (pour les deux parties), est certainement un des facteurs qui a permis l'implantation fructueuse d'un encadrement vétérinaire abondant dans la zone entre 1985 et nos jours.

Efficacité thérapeutique.

En 1985, la thérapeutique se basait sur les tétracyclines. Leur efficacité dépendait d'une administration précoce et prolongée (7jours) du médicament, ainsi qu'une bonne réaction immunitaire de l'animal. Ces conditions étant difficiles à réunir dans la pratique, le taux d'échecs thérapeutiques, avec mort de l'animal, était supérieur à 50 p. 100. Les animaux de grande valeur, dont les vaches importées, était particulièrement exposées à un échec thérapeutique, ce qui a découragé l'utilisation de ce genre d'animaux pendant de nombreuses années.

En 1989, les vétérinaires ont disposé d'un médicament spécifique, la parvaquone (Clexon ®). L'efficacité thérapeutique sur les cas aigus est passée à 75-80 p. 100.

En 1993, une nouvelle molécule de la même famille, plus efficace, a été introduite. Il s'agit de la buparvaquone (Butalex ®).

L'efficacité thérapeutique est passée à 80-90 p. 100. Si on prend soin de sélectionner les animaux traitables, en excluant les cas présentant d'emblée un pronostic sombre (hypothermiques, au stade d'anémie prononcée ou d'ictère, avec troubles cardiaques importants et en en décubitus), le taux d'efficacité thérapeutique est de 95%.

La dose du fabricant (1ml de la solution commerciale à 50 mg/ml pour 20 kg de poids vif) a été conçue à partir de rechercher sur Th. parva, réputée plus pathogène, et qui cause une maladie connue sous le nom d'East Coast Fever, qui sévit en Afrique de l'Est et du Sud.

Cette dose peut être modulée en fonction de la gravité du cas et de la sensibilité du sujet. Nous utilisons régulièrement des doses de 1ml / 25kg à 1ml / 30kg. Par souci d'un meilleur rapport qualité-prix, nous n'utilisons pratiquement aucun traitement adjuvant (antianémiques, antipyrétiques, toniques hépato-rénaux) ni de "couverture antibiotique", lesquels restent néanmoins très populaires chez de nombreux vétérinaires ou en automédication.

Après administration du produit, l'appétit peut reprendre après 24 h. et la température revient à la normale. Néanmoins dans certains cas, la fièvre persiste pendant 3 à 5 jours après le traitement. Ces cas mis en évidence récemment suite aux rappels plus nombreux à cause de l'extension de la téléphonie mobile dans la zone, ne nécessitent généralement pas une seconde dose du produit (comme conseillée par le fabricant), le processus anémiant étant souvent stoppé, et l'appétit retournant à la normale à partir du 5ème-6ème jour post-traitement.

Néanmoins, chez les animaux de races laitières très performants, la maladie même guérie, peut être très débilitante. La lactation peut tomber à zéro au cours de la phase d'état, et ne reprendre qu'une semaine plus tard. Chez les vaches de races plus résistante et traités précocement, la chute de lactation peut être limitée (30-40 p. 100), et l'animal peut retrouver sa production normale après 3 à 4 jours.

Les mêmes observations s'appliquent également au jeune bétail à l'engrais: (amaigrissement net avec récupération lente chez les sujets sensibles; amaigrissement à peine perceptible chez les sujets résistants).

Chez les veaux, la maladie incomplètement guérie peut passer à l'état chronique avec diarrhée persistante et amaigrissement prononcé. Ces cas réagissent favorablement ou non à une seconde injection de produit.

Symptômes additionnels et cas atypiques.

Il existe de nombreux cas de theilériose pour lesquels la symptômatologie s'écarte du tableau classique. Ces cas peuvent ne pas être reconnus comme tels par les praticiens inexpérimentés où par les éleveurs, sous-estimant ainsi la prévalence de la maladie. Nous les avons suspectés puis confirmés par diagnostic thérapeutique (utilisation de la buparvaquone comme seul traitement).

Il s'agit de: diarrhée chronique, amaigrissement avec retard de croissance, oedème de l'auge, stomatite, kératite, protrusion du globe oculaire, syndrome de pseudo-péricardite, symptômes nerveux centraux (cécité, troubles du comportement) ou périphériques (démarche raide, boiteries sans lésions du membre), mammite, lenteur d'involution utérine avec exsudat brun, avortement, congestion pulmonaire diffuse avec polypnée, oedème de la mamelle chez la génisse prépubère, météorisme récidivant, desquamation en rouleau de la muqueuse intestinale ou oesophagienne, syndrome pseudo-fièvre vitulaire, cornage inspiratoire.

Ces symptômes atypiques sont associés ou non à des symptômes du tableau clinique typique (hypertrophie ganglionnaire et fièvre). Cette grande variété de symptômes s'explique par la pathogénicité des Theileria, liée principalement à la schizogonie et aux lyses cellulaires qu'elle entraîne au niveau de la lignée blanche, et, partant, aux lésions des organes qui hébergent ces cellules. L'hypertrophie isolée de certains ganglions spécifiques (médiastinaux, sous-maxillaires, rétro-pharyngiens, rétro-oculaires) explique certains symptômes; d'autres sont à mettre en rapport avec des cellules blanches réparties de façon diffuse dans les organes (cellules à poussières pulmonaires, microglie cérébrale, cellules des plaques de Peyer intestinales, globules blancs mammaires, dermiques ou intracardiaques). L'atteinte, difficilement diagnosticable, des parenchymes hépatiques et rénaux pourrait rendre compte de certains échecs thérapeutiques, ou des symptômes surajoutés signant la gravité de l'atteinte, comme les pétéchies oculaires.

La theilériose à Th. annulata et le développement de l'élevage bovin dans les Doukkala.

Le coût de la maladie pour les éleveurs est liée (1) aux mortalités (cas non médicalisés et échecs thérapeutiques); (2) au coût des traitements; (3) aux diminutions de performances des animaux traités, pendant et après la maladie; (4) aux diminutions des performances des animaux présentant une maladie subaiguë ou subclinique. En effet, ou peut supposer que lors d'une inoculation par la tique vectrice, seule une faible proportion des animaux fait une maladie clinique conduisant à la mise en place d'une thérapeutique. Chez une majorité des animaux, l'inoculation ou la réinoculation de la Theileria fera office de vaccination, provocant la formation d'anticorps protecteurs, sans affecter la santé ni les performances des animaux, comme cette génisse saine avec poussée ganglionnaire. Il est probable qu'une proportion non négligeable de bovins sont intermédiaires entre les deus cas: absence de maladie clinique nette mais diminution des performances. Néanmoins l'impact économique de ce phénomène est difficilement chiffrable.

Un autre effet indirect est le découragement des éleveurs à se porter acquéreurs d'animaux de bon niveau génétique, et donc un frein du développement de la production bovine dans la région.

Néanmoins, cet aspect des choses doit être relativisé, car plusieurs éléments ont permis de contrôler efficacement les pertes les plus visibles dues à la maladie. Il s'agit: de (1) la disponibilité toujours croissante et de moins en moins onéreuse des vétérinaires privés; (2) l'efficacité des traitements spécifiques; (3) une meilleure connaissance de la maladie par les éleveurs; (4) l'apparition d'automédication, rendue possible par la multiplication récente du nombre d'officines (plus de 50 dans la région) qui vendent (illégalement) les médicaments spécifiques aux éleveurs ou à des thérapeutes profanes.

D'autre part, le développement de l'élevage bovin est entravé par de nombreux autres éléments, dont (1) la structure patriarcale des exploitations agricoles, les jeunes à l'esprit novateur étant écartés des décisions stratégiques; (2) l'archaïsme des système d'héritage (non réglés par l'Etat) qui conduit à des indivision paralysante des terres agricoles et des bâtiments d'élevage; (3) la quasi absence de vulgarisation par l'Etat ou par des organisations professionnelles agricoles, ainsi que de formation technique des jeunes agriculteurs (aucune école agricole spécialisée ou dans tout les Doukkala); (4) l'absence de programme national efficace de contrôle de la descendance des taureaux utilisés en insémination artificielle; (5) absence de marché d'aliments composés de bonne qualité et à prix adéquat, due aux restrictions étatiques à l'importation de céréales à bas prix à partir du marché mondial; (6) difficultés chroniques de trésorerie des agriculteurs qui se répercutent sur une sous-alimentation du cheptel; (7 la compétition pour la répartition des ressources en eau, d'une part entre l'agriculture et la ville, d'autre part, entre les Doukkala et de nouvelles zones irriguées à partir du même barrage, ce qui conduira inéluctablement à la raréfaction des volumes d'eau destinés à l'irrigation des cultures fourragères.

Evolution probable dans les prochaines années.

Le niveau génétique du cheptel - et partant, la sensibilité à la maladie - continuera néanmoins à progresser lentement du fait de: (1) l'intérêt des éleveurs pour les races laitières de bonne qualité; (2) de l'efficacité des circuits d'insémination artificielle; (3) de la multiplication des centres de collecte de lait. Ainsi, pour la commune de Sidi Smaïl située au centre de la région, il existait un seul centre de collecte en 1989; actuellement il y en a une quinzaine, livrant le lait à deus sociétés concurrentes.

La réintroduction de races locales, sélectionnées pour leurs performances, qui sont potentiellement égales à celles des animaux croisés dans les conditions d'élevages actuelles, et qui seraient résistantes aux maladies transmises par les tiques serait d'un intérêt certain. Néanmoins, une telle voie n'est suggérée ni par les éleveurs, ni par l'Etat, ni par les intellectuels de la santé et de la production animale.

J'avais moi-même, en 1986, initié un projet de sélection accélérée d'une race locale marocaine, la Blonde d'Oulmès-Zaër, pour la coopération belge. Ce projet a finalement fonctionné sous le seul volet de transfert d'une technologie de pointe, la transplantation embryonnaire, sans coopérant sur place. Ses maigres résultats ont été réduits à néant lors de la première sécheresse ayant suivi la fin du projet. En effet, de tels programmes génétiques, très simples sur le papier, requièrent des capacités organisationnelles de terrain, de la part de cadres inférieurs motivés, la collaboration de jeunes éleveurs enthousiastes, le tout chapeauté par une équipe de scientifiques passionnés qui vont accepter au départ d'y consacrer toute leur vie. Ces exigences sont en opposition avec la notion même de politique, telle qu'elle est conçue de nos jours (politique de coopération au développement pour les pays fournisseurs d'aide, politique agricole pour les pays récepteurs).

Contrairement aux programmes génétiques, des actions de lutte spécifique contre la maladie ont été envisagés.

La lutte contre la tique vectrice au niveau des exploitations est devenue très populaire ces dernières années. Les éleveurs utilisent des produits spécifiques de santé animale, mais aussi des insecticides domestiques (Baygon ®) ou agricoles.

Du fait de l'aspect enzootique, la lutte contre les tiques ne provoquera pas une diminution des cas cliniques, les tiques ayant un rôle vaccinal autant qu'un rôle inoculateur. Tout au plus peut on espérer un meilleur contrôle des cas suraigus, dus à une inoculation massive des Theileria lors d'une infestation importante par les tiques. Une faible inoculation en été provoquera le report des cas cliniques vers la basse saison, les animaux porteurs mais peu immuns étant prédisposés à faire la maladie lors d'un stress ultérieur. Le traitement hors saison (novembre) contre la nymphe octopode, à peine visible, se heurtera à des difficultés pratiques bien compréhensibles. L'éradication de la tique, par des épandages d'insecticides sur de vastes régions, envisagée à une certaine époque, n'est plus d'actualité, suite à l'évolution des idées sur l'écologie et le développement durable.

L'utilisation d'un vaccin, étudié par les chercheurs de l'I.A.V., se heurte aux contraintes suivantes: (1) difficultés techniques de maîtriser les antigènes des protozoaires; (2) existence de souches locales, voire de souches d'étables, expliquant l'apparition de cas cliniques chez des animaux théoriquement résistants, achetés chez des voisins; (3) obligation de vacciner les jeunes veaux en hiver, ce qui pose des problèmes organisationnels énormes, vu la taille des exploitations, la quasi-absence de cas cliniques en cette saison, et les difficultés de trésorerie des éleveurs; (4) la contre-indication chez les vaches gestantes, ce qui exclut l'utilisation du vaccin chez les génisses pleines importées, cibles particulièrement vulnérables du protozoaire.

Enfin l'accord de libre échange conclu entre le Maroc et L'Union Européenne à l'horizon 2010, s'il aboutit à la libre circulation totale des produits laitiers et viandeux en provenance des fermes européennes, largement subventionnées et produisant avec moins de contraintes technico-économiques, conduira à la disparition totale de l'élevage laitier à but commercial dans la région, réglant automatiquement et le problème de la theilériose et celui du développement de la médecine vétérinaire privée.


(1) Le MAD (Dirham marocain) vaut environ 10 eurocents.


Lucien Mahin, le 15 août 2002, dernière modification le 15-05-03.


Etude préliminaire sur deux combinaisons thérapeutiques alternatives dans le traitement de la theilériose bovine en cas de pénurie de buparvaquone.

Introduction:

La theilériose à Th. annulata est une des dominantes pathologiques dans les Doukkala.

La buparvaquone, mise en marché marocain en 1993, a apporté pleine satisfaction dans le traitement de cette entité, avec des taux de réussite de plus de 98 % des patients présentés à un stade curable de la maladie, dont 5 à 10% nécessitant une seconde injection du produit.

Dans notre clinique vétérinaire, le Butalex ® a représenté, en prix d'achat, 69,5 % de l'ensemble des médicaments utilisés en pratique bovine entre d'août 2001 à septembre 2002, soit 14 mois.

Néanmoins des ruptures d'approvisionnement en médicament et la mise sur le marché depuis 2003 d'une préparation à base de diminazène présentée comme active contre Th. annulata nous a conduit a rechercher des méthodes thérapeutiques combinant plusieurs produits et permettant l'épargne de stock de Butalex, devenu une denrée rare durant l'été 2003.

Le traitement par le diminazène seul de tous les animaux diagnostiqués "theilériose", sans distinction de stade d'évolution ni de sensibilité génétique, s'est révélé particuliérement décevant, avec des taux de réussite à la première injection de seulement 25 p.100 (Soleih, 2003).

Le présent essai a été effectué au cours de la quinzaine la plus critique de la pénurie de Butalex de l'été 2003, dans le but de tester deux combinaisons thérapeutiques alternatives permettant une épargne importante de buparvaquone.

Matériel et Méthodes

Matériel animal

L'étude a porté 87 patients présentés en clinique interne ou externe entre le 22 juillet et le 13 août 2003 et diagnostiqués "theilériose".

Ces animaux présentaient tous un état fébrile (plus de 39.5 °C) et une polyadénite.

Ont été exclus de cette essai:

Ces patients ont bénéficié d'autres combinaisons thérapeutiques:

Méthodes:

Lot 4: 43 animaux présentés entre le 23 juillet et le 13 août 2003 ont reçu une combinaison de 3 produits ayant une activité étiologique: a) buparvaquone (50 mg / ml) à raison d'une dose allant du tiers au quart de dose (1 ml par 60 à 80 kg); b) oxytétracycline Longue Action (20 mg par ml) à double dose (2 ml / 10 kg), et c) diminazène (solution commerciale de diacéturate de diminazène à 70 mg / ml) à dose simple (0.5 ml / 10 kg). Cette combinaison a reçu le nom de trithérapie.

Lot 6: 44 animaux présentés entre le 23 juillet et le 1 août 2003 ont reçu une combinaison de diminazène à dose simple ou double + oxytétracycline LA (double dose).

Le choix de traiter les animaux selon le protocole 4 ou 6 n'est pas laissé au hasard. Les animaux recevant le protocole 6 (sans buparvaquone), considéré à priori comme moins fiable, sont générallement ceux qui présentaient des symptômes plus récents. Les animaux de haute valeur génétique et les bovins malades depuis plus de 5 jours (mais toujours sans anémie) étaient souvent traités par le protocole 4 (trithérapie).

A la première visite, les animaux étaient introduits dans notre étude de profil épidémiologique et clinique.

Les animaux traités n'ont pas été suivis systématiquement.

Les patients classés "aggravés" sont ceux qui ont été représentés avec absence de fièvre (tendance à l'hypothermie) mais l'apparition d'une anémie (muqueuse pâles à subictériques, cœur accéléré, "fort", parfois avec dédoublement des bruits; pouls jugulaire rétrograde).

Les patients considérés "mal guéris" sont ceux qui sont représentés en notre cabinet avec stabilisation des symptômes (fièvre persistante, pas d'anémie, cœur "bon"), mais insuffisance d'appétit ou amaigrissement persistant.

Les patients considérés guéris sont ceux pour lesquels nous avons eu un contact ultérieur occasionnel avec le propriétaire qui nous a signalé l'évolution satisfaisante.

Résultats:

Les résultats de l'essai sont donnés dans le tableau suivant.

Combinaison thérapeutique.

Nb

aggravés

mal guéris

guéris

non revus

4

Buparvaquone (tiers à quart de dose) + oxytétracycline LA (double dose) + diminazène dose simple ("trithérapie")

43

0

11

4

28

6

Diminazène dose simple ou double dose + oxytétracycline LA (double dose).

44

6

3

2

33

 

Total

87

6

13

6

62

 

Discussion:

Les animaux présentant une aggravation de l'état clinique se retrouvent uniquement dans le lot ayant été traités par le protocole 6 (diminazène - tétracycline sans buparvaquone), alors qu'à priori, ces animaux avaient été choisis à cause d'un stade de maladie plus précoce, ou une sensiblité moins due à une génétique plus rustique.

Le tableau suivant donne les caractéristiques épidémiologiques et cliniques des 6 animaux aggravés et leur évolution ultérieure.

Profil épidémiologique

t° 1

retour

t° 2

signes d'anémie

Traitement 2

Evolution

432

Vache primipare, née, malade 10 j.

40.9

J10

?

?

? (autre cabinet)

morte à J13.

442

génisse, née, malade 6 j.

40.3

J6

39.9

pâleur des muqueuses, gallop cardiaque, hyperpnée

buparvaquone 1 ml/ 50 kg + oxytet double dose

?

450

vache 7 ans achetée - 2 ans, malade 2 j.

40.5

pétéchies

J4

39.2

pâleur des muqueuses, bruit cardiaque intense

protocole 4

?

464

génisse née, malade 6 j.

40.7

-

-

-

-

morte à J7

467

vache 8 ans, née, malade 3 j.

40.0

J9

39.0

subictère, pétéchies, tachycardie, couchée.

buparvaquone 1 ml / 25 kg

debout à J13

485

vache 8 ans, achetée - 6 ans, malade 4 j.

40.8

J8

38.3

subictère, œdème de l'auge, bruit cardiaque intense

buparvaquone 1 ml / 25 kg

morte J10

 

On constate que sur les 6 animaux ayant résisté au traitement:

Conclusion:

Placé dans une situation de pénurie de buparvaquone, le praticien devra sélectionner drastiquement les animaux auxquels il administrera le protocole 6. Il faudra être particulièrment prudent avec les vaches adultes, et les animaux malades depuis plus de 5 jours.

La trithérapie, que nous standardiserons désormais à la dose de 1 ml buparvaquone pour 60 kgde P.V., semble être une méthode de choix pour ces situations de pénurie de Butalex ®, mais il faut insister sur l'absolue nécessité d'un contrôle à 4 jours chez tous les patients qui ne présentent pas une guérison clinique totale passé ce délai. Le praticien prudent aura soin de disposer d'un stock de dernier recours de Butalex, inviolable, pour traiter au moins à 1 ml par 30 kg les patients qui présentent une aggravation des paramètres érytrocytaires lors de la vérification à 4 jours.

Des essais ultérieurs sont nécessaires pour voir si, dans les deux protocoles testés ici, le diminazène apporte une amélioration significative par rapport à des traitements équivalents sans diminazène (Buparvaquone, tiers de dose + oxytétracycline LA, double dose; oxytétracycline LA double dose seule).


Lucien Mahin, le 15 août 2003.


Profil épidémiologique, clinique et thérapeutique de 598 bovins diagnostiqués "theilériose" au pic de la saison 2003.

 

Introduction:

Matériel et Méthodes

Matériel animal:

L'étude a porté 598 patients bovins présentés en clinique interne ou externe entre le 15 juin et le 15 septembre 2003 et diagnostiqués "theilériose" d'après notre expérience de la maladie.

Méthodes:

Age

Les animaux sont classifiés en quatre catégories d'âge: veau de moins de deux mois; taurillons et génisses de 2 à 24 mois; vaches de deux à 6ans; vaches âgées de plus de 6 ans.

Classification suivant le type de thérapeutique instaurée.

0: non curable.

1: traitements à base de buparvaquone à dose indiquée par le fournisseur, ou légèrement inférieure (moins de 30 %).

1a: Buparvaquone 1ml/20 à 30 kg;

1b: Buparvaquone 1ml/20 à 30 kg + oxytétracycline Longue Action;

2: traitements à base d' Oxytétracycline Longue Action.

2a: Oxytétracycline Longue Action simple dose;

2b: Oxytetracycline Longue Action double dose;

3: traitements à base de buparvaquone à demi-dose par rapport à celle indiquée par le fournisseur, avec support Oxytétracycline Longue Action.

3a: Buparvaquone 1ml / 35 à 40 kg + oxytétracycline Longue Action simple dose;

3b: Buparvaquone 1ml / 35 à 40 kg + oxytétracycline Longue Action double dose;

4: trithérapie.

6: traitements à base d' iminazène diacéturate, avec support Oxytétracycline Longue Action à double dose.

6a: Iminazène dose double oxytétracycline Longue Action double dose;

6b: Iminazène dose simple oxytétracycline Longue Action dose double;

9 traitement anti-pyrétique palliatif (animaux prêts à l'abattage).

 

Résultats:

Répartition des patients suivant l'âge.

Le tableau suivant donne la répartition des animaux malades suivant les tranches d'âge.

jeunes veaux (< 2 mois)

génisses et taurillons (2-24 mois)

vaches jeunes (2-6 ans)

vache plus âgées (> 6 ans)

Total

47

375

114

62

598

7,9

62,7

19,1

10,4

100.0 %

 

Répartition des patients suivant la thérapeutique instaurée.

Sur 591 animaux pour lesquels cette donnée est fournie, huit (1,35 %) ont été considérés incurables, et n' ont reçu aucun traitement. Cinquante-et-un (8.63 %) ont été considérés prêts à l'abattage, et non économiques à traiter étiologiquement.

La répartition des 532 animaux restant par rapport aux traitements étiologiques administrés est donnée au tableau suivant:

Thérapeutique à base de:

Nb

%

aggravés

mal guéris

guéris

non revus

1

buparvaquone à dose normale.

179

33.6

 

 

 

 

2

oxytétracycline LA

113

21.2

 

 

 

 

3

buparvaquone à demi-dose + TLA.

133

25.0

 

 

 

 

4

trithérapie

62

11.7

 

 

 

 

6

Diminazène + TLA à double dose.

45

8.5

 

 

 

 

 

Total

532

100.0

 

 

 

 

 


Images de la theilériose.

 Mon autre activité professionnelle vétérinaire.